Ce texte est extrait de la newsletter Podmust.
“Nous avons tout fait pour éviter d’en arriver là, malheureusement le gouvernement français en a décidé autrement.”
Mais qui peut bien faire une telle déclaration ? Des agriculteurs qui viennent de détruire d’une préfecture ? Des militants qui viennent d’asperger de soupe une œuvre d’art ? Des chômeurs qui viennent de pirater France Travail ? Des retraités qui viennent de prendre en otage leur EHPAD ?
Vous savez déjà que non : cette phrase nous vient de la gentille entreprise familiale Spotify, qui décidément adore la victimisation. La plateforme a annoncé (sur les réseaux sociaux, ici sur X) une future augmentation de son abonnement Premium, à cause de la taxe streaming (encore et toujours) et du CNM (Centre National de la Musique) qui va la récolter. Spotify s’était déjà vengée en se retirant de deux festivals musicaux. Mais visiblement l’amertume demeure et les dispositions sont prises pour annoncer une augmentation dont on ignore le taux. Apparemment la nouvelle taxe équivaudrait à 14 centimes supplémentaires, on voit mal Spotify la répercuter aussi simplement (“Hey ! votre abonnement prend 2 euros !”).
Mais arrive un premier retour de bâton : en voulant se justifier auprès de ses abonnés, Spotify a surtout fait remonter à la surface tout ce qu’on peut lui reprocher. Et les critiques sont venues aussi bien de la part des utilisateurs que des artistes. Sur Instagram notamment, les commentaires sont révélateurs et la désapprobation publique par certains artistes (Pomme, Woodkid, Izia…) est notable. Dans les faits :
- La plateforme suédoise rémunère les artistes moins que Deezer, qu’Amazon Music, et plus de deux fois moins qu’Apple Music.
- Spotify ne propose toujours pas la qualité Hi-Fi, réclamée depuis longtemps et présente chez la concurrence.
Deuxième retour de bâton : mis en cause, le CNM a répondu dès le lendemain. “Contrairement à ce qu’indique Spotify, pas un centime de cette ressource ne finance le fonctionnement du CNM”.
Faisant ainsi voler en éclat le principal argument de la plateforme, alors que sur les réseaux sociaux de petits artistes enfonçaient le clou en affirmant qu’ils reçoivent plus de soutien financier de la part du CNM (qu’ils remercient) que de Spotify (qu’ils ne remercient pas). En gros, au moment d’écrire ces lignes, un rétropédalage de Spotify n’est toujours pas exclu.
Mais bon, comme on le crie dans les stades : “Ici c’est Podmust !” et depuis le début de cet édito on s’éloigne de notre sujet podcast adoré. D’ailleurs je l’écrivais en 2022, dans un style toujours très nuancé et bienveillant : “La rémunération des artistes ? Pas mon problème”.
Alors recentrons le sujet en rappelant également ce fait : sur Spotify les podcasteurs ne sont pas rémunérés du tout, à moins de mettre de la publicité. Comme partout ailleurs en fait. Alors quoi ?
Et c’est là qu’intervient Mathilde, alias @mathou.trn sur Instagram. Je ne la connais pas, elle n’a que 304 abonnés, mais elle signe le deuxième commentaire le plus aimé en réponse au communiqué de Spotify :
Le succès de son commentaire est révélateur. Mathilde n’est pas seule à penser ce qu’elle écrit. Bien sûr nous, nous connaissons la réalité de l’économie des podcasts. Mais Spotify ne l’a jamais expliqué à ses utilisateurs. Il n’y a jamais eu un communiqué “Au fait les podcasts arrivent sur Spotify mais bon comme on ne les rémunère pas du tout on va les laisser mettre leur publicité pour qu’ils gagnent un peu d’argent, du coup bah même votre abonnement premium qui supprime les pubs il ne va pas fonctionner dans cette situation. Bisous.”
On connaît aussi la suite de l’histoire. Non seulement Spotify a accueilli la publicité dans les podcasts, mais l’entreprise s’est dit que si elle pouvait également gérer une partie de cette pub, ce serait une jolie nouvelle source de revenus.
Ainsi vécut l’illusion d’un abonnement payant qui protègerait de la publicité. Une illusion qui existe toutes plateformes confondues. Dans le streaming vidéo, sur Netflix, Apple TV, Prime Video et autres, que votre abonnement soit payant ou pas (« gratuit avec publicité »), ce sont les placements produits ou les scénarios co-écrits avec des marques qui font de la pub (plus ou moins subtilement).
Dans le streaming audio, rien n’est aussi emblématique que l’abonnement Premium de Spotify : tout en continuant d’augmenter, il ne préserve ni de la publicité dans les podcasts, ni des nouveaux formats pubs comme ces « recommandations sponsorisées » qui apparaissent en page d’accueil de l’appli ou parfois même en pop-up.
Pour résumer : tout en augmentant la publicité auprès des utilisateurs (abonnés Premium ou non) Spotify augmente aussi le prix de son abonnement. On n’est pas loin du génie commercial. C’est à se demander comment l’entreprise fait pour ne toujours pas être rentable. Ah oui, c’est à cause du gouvernement français c’est sûr…