INTERVIEW

Caroline Nogueras, (Home)icides : “J’aimerais qu’on m’écoute comme on regarde un film”

Depuis janvier 2021, Caroline Nogueras s’est redécouvert une passion : l’écriture narrative. Chaque semaine, la journaliste habituée de télévision s’essaye à un nouvel exercice d’écriture pour “(Home)icides”, son podcast dédié aux faits divers, comme tant d’autres. Mais avec une originalité pour le sien : sa narration romancée. A chaque épisode, elle s’appuie sur un important travail de recherche pour plonger l’auditeur dans l’histoire.

Caroline Nogueras

La majeure partie de votre carrière ayant été dédiée à la télévision, qu’est-ce qui aurait changé si vous aviez dû adapter l’écriture pour le petit écran ?

D’abord, ayant dû couvrir des faits divers pour la télé à plusieurs reprises, je me suis plutôt appuyée sur ce travail pour le podcast, parce que le storytelling est un peu le même. À la seule différence qu’à la télévision, vous avez l’image qui appuie votre propos, et en podcast vous êtes uniquement porté par la voix. Si je traite un fait divers pour la télé, je vais être davantage dans une sorte d’écriture d’interviews, de commentaires et d’archives. On va aller chercher plein de protagonistes qui, couplés, vont storyteller l’histoire. Là, pour des questions budgétaires, on ne pouvait aller à leur rencontre, et j’avais envie de travailler sur une forme de récit pur :  ma voix, mon écriture, en essayant d’adopter une forme plus narrative qu’à la télé.

Si on part sur le premier épisode, résumant les évènements autour du crime : comment faites-vous pour coller le plus au réel ? Être le plus immersif possible dans l’écriture ?

J’aimerais qu’on m’écoute comme on lit un livre, ou comme on regarde un film. Alors je me documente énormément, puis je “romance”, tout en collant à la vérité. C’est-à-dire que je donne suffisamment d’éléments cinématographiques pour que l’auditeur se projette dans l’histoire, comme dans un bon polar. Parce qu’il existe beaucoup de podcasts de faits divers, et ils ne le font pas. Depuis mon atelier d’écriture narrative avec un auteur chez Gallimard, je me suis dit : “Il faut que je me lâche, que je lâche les chevaux, que je romance mon histoire, mes personnages”. Évidemment, comme je n’ai pas (ou rarement) été sur place, je lis beaucoup, je regarde des photos des protagonistes dans le moindre détail, je me documente sur les lieux du crime, l’ambiance qui y règne… afin de les dépeindre au mieux. Je ne fais pas dire aux personnages des choses qu’ils n’auraient pas dites. En général, je me procure les PV d’auditions et l’ordonnance de renvoi avec les procureurs et les avocats. Sur l’affaire Cottrez par exemple, une mère infanticide, j’avais trouvé suffisamment de détails sur sa vie, son personnage pour la dépeindre. À tel point que j’avais l’impression de l’avoir en face de moi.

« On peut très bien avoir un très joli texte, mais dit sans intention, ou posé au mauvais endroit. »

A chaque épisode, la même formule : quelques phrases pour résumer l’affaire, puis une narration chronologique. Pourquoi le choix de ce déroulé chronologique, déjà extrêmement répandu pour les récits de faits divers ?

Parce que c’est comme ça que j’ai appris à raconter ces histoires pour la télé. Et je crois que les faits divers se racontent de la même manière. Avec toujours un peu la même mécanique : commencer par les 5W [NDLR : « What, Why, Who, When, Where », en anglais.] pour résumer, avec la phrase qui va donner envie à l’auditeur dès le départ… Ensuite c’est toujours les faits : qu’est-ce qu’il se passe cette nuit ? Puis le passé du criminel, le procès, parce qu’il y a souvent pas mal d’archives. Et à la fin, très souvent, j’ai un invité pour ouvrir le débat. Soit parce que je n’ai pas eu tout le temps de tout développer, soit parce que cela apporte une richesse supplémentaire. Ma différence, c’est aussi la manière donc je raconte l’histoire. J’ai fait 10 ans de théâtre, et je pense que ça m’aide. On peut très bien avoir un très joli texte, mais dit sans intention, ou posé au mauvais endroit. La télé m’a un peu aidé, mais ça reste extrêmement formaté.

Et donc vous n’auriez pas imaginé une autre narration ? Un peu plus disruptive, originale ? Se mettre dans la peau, dans la voix d’un personnage ?

Non, parce que je ne fais pas de fiction, puis je ne suis pas dans la tête des personnages. Je tente de l’être, parce que souvent je me mets à la place des enquêteurs. Mais je n’irais pas plus loin, parce que je ne vais pas me substituer à un personnage. Il pourrait très bien me dire : “vous avez parlé de moi, mais je n’ai pas du tout dit, ou pensé ça”. Dans l’histoire que je vais raconter bientôt, comme je sais que je vais avoir le procureur, il devient un personnage fort de ma structure narrative. Je fais du fait divers, mais le sang, les coups de couteau… Ça ne m’intéresse pas du tout ! Évidemment j’en parle, mais je traite essentiellement de la psychologie des personnages.

Question pratique : c’est vous qui choisissez les sons intégrés dans le déroulé ?

J’inscris au réalisateur mes intentions narratives. Au début c’était très scripté : “là des piaillements d’oiseaux, là une porte qui s’ouvre, etc.”. Et puis au fur et à mesure de moins en moins, parce qu’il sait très bien comment je travaille. En écoutant et lisant mon texte, lui-même il y a des images qui lui viennent. Pour la musique c’est vraiment lui. Il m’est arrivé plusieurs fois de lui dire : “cette histoire je la verrais bien avec cette ambiance musicale”. Mais j’avoue que d’abord je n’ai pas le temps, et puis ce n’est pas ma partie.

Si vous aviez dû adapter ce sujet à l’écrit, est-ce que ça aurait changé quelque chose à votre narration ?

Je pense que j’aurais insisté sur la narration encore un petit peu plus, j’aurais encore plus accentué mes personnages, mes lieux… Les très bons articles dans lesquels vous plongez sont toujours très imagés, avec beaucoup de descriptions. Pour la presse écrite, il faut réussir à tenir son lecteur jusqu’au bout de l’article.

Propos recueillis par Pierre Kron

Institut Pratique du Journalisme (IPJ)
par Institut Pratique du Journalisme (IPJ)
28.03.2022
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Interview réalisée dans le cadre du partenariat entre Podmust et L’Institut Pratique du Journalisme (IPJ) de l’université Paris-Dauphine. En savoir plus.

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