C’est en juin 2019 que Julien Cernobori, journaliste indépendant, se lance sur les traces d’un tueur en série des années 80 dans son podcast CERNO L’anti-enquête. Il se rend sur les lieux de crimes du « tueur de vieilles dames », Thierry Paulin, et de son complice, Jean-Thierry Mathurin. Micro ouvert et au gré des rencontres, les souvenirs d’un fait-divers laissent place à des récits de vie poignants.
Comment définiriez-vous la ligne directrice de L’anti-enquête ?
Le sujet, c’est le point de départ : je me suis rendu compte qu’un tueur avait vécu dans mon immeuble. Je me suis dit que j’allais en faire un podcast sans savoir où ça allait nous conduire. Mais je n’ai pas de point d’arrivée, c’est plutôt comme une expérimentation sonore : je veux étirer les choses pour qu’elles durent le plus longtemps possible, explorer tous les à-côtés, voir où le point de départ me conduit. Le premier jour, j’ai pris mon vélo et je me suis dit « On va voir ce qu’il va se passer ». Je n’ai pas pu rentrer dans l’immeuble, mais le coiffeur en bas m’a aidé et je me suis dit : « Voilà, c’est ça que je veux faire. Rencontrer des gens au hasard en arrivant micro ouvert ». Les rencontres imprévues me nourrissent. Ce sont des gens qui ne me ressemblent pas, c’est inattendu, et ça permet d’éclairer l’affaire d’un point de vue différent même si on n’en parle pas directement.
Vous amenez donc l’auditeur au gré de vos rencontres et tout semble être le fruit du hasard. Quelle part de prévu laissez-vous à la narration ?
Zéro. Rien n’est prévu ; si je devais faire un casting, prévoir, j’y passerais trop de temps. Il s’agit vraiment de laisser faire le hasard. C’est le meilleur scénariste, il fait les choses beaucoup mieux que nous. Je passe donc énormément de temps à attendre qu’il se passe quelque chose. Et de fait, il se passe toujours quelque chose quand on a un micro ouvert. Il y a toujours des gens intéressants à rencontrer. J’essaie de ne rien prévoir, d’arriver de manière vierge, le plus naïvement possible. J’ai parfois l’impression qu’il y a un metteur en scène qui m’a mis là et qui a fait en sorte que les gens se placent sur mon passage.
Pourquoi avoir choisi au montage de répéter à plusieurs reprises l’extrait d’archives : « Il suivait ses victimes jusque chez elle, il les torturait … » ? Quel était l’effet narratif recherché ?
C’est comme un refrain. Ce sont des phrases de journalistes télévisés des années 80. Ça permet de superposer les époques et de raconter une autre manière de faire du journalisme ; c’est une sorte de mise en abyme. Et je me suis rendu compte — ça n’était pas prévu non plus — que je me plaçais exactement dans le même mode opératoire que les tueurs. J’attends devant les immeubles, quelque part je mets le pied dans la porte, comme ils le faisaient, et souvent je rencontre des vieilles dames. Cette phrase parle du tueur, mais elle parle aussi de moi avec mon micro.
Le podcast contient un autre refrain, le « 3, 2, 1 », au début de chaque épisode. Quel est pour vous son rôle dans la narration ?
C’est un test de micro, je le fais tout le temps. Les journalistes de radio le font tous, mais on l’enlève, parce que ce n’est pas « propre ». Pour moi, c’est plutôt une façon d’entrer dans le reportage et d’inviter les gens dans le off, une façon de dire « Là maintenant, je suis en reportage ». C’est un gimmick, mais aussi une manière de prendre les gens par la main et de les mettre dans ma peau.
Vous faites parfois des commentaires sur vos interlocuteurs, ce que vous avez perçu d’eux, comment ils vous ont paru. Qu’apportent-ils au podcast ?
J’essaie de ne pas trop commenter. Mais je ne sais pas trop où je vais, donc je commente ce qu’il se passe comme je le vis, sans tricher, en expliquant comment je me sens. Quand je sors d’une rencontre ou d’un lieu de crime, je continue à parler derrière. Ça permet de prendre l’auditeur par la main, ce qui est pour moi le plus important. Je veux qu’il comprenne ce qui se passe dans la tête de la personne qui tient le micro. Pour moi c’est aussi un axe narratif : comment, moi enquêteur, je vis les choses.
« C’est mon but : montrer les gens dans toute leur diversité. »
Pourquoi avoir choisi de garder les moments d’hésitations, de doutes, de tergiversations des personnes que vous rencontrez ?
Je les enlève le plus possible en général, mais parfois c’est énervant, parce qu’on a l’impression que c’est trop rodé et que c’est quelqu’un qui s’écoute parler. Parfois il vaut mieux les laisser parce que ça permet de rendre les gens plus humains, de montrer que les gens réfléchissent quand ils parlent. Je trouve que parfois c’est bien de laisser les silences, mais en même temps je monte beaucoup pour donner au podcast un aspect presque cinématographique, qui rend hommage à ces rencontres impromptues. C’est mon but : montrer les gens dans toute leur diversité. Ce sont tous des personnages, de romans, de séries ou de films. À la fois c’est très monté, et en même temps je garde les aspérités, les moments où je me fais jeter. Cela s’ajoute à la dramaturgie du hasard. Je veux préserver cet aspect-là.
Propos recueillis par Léna Gomez et Leslie Larcher