« Allez lève-toi, on sort ! » Camille Juzeau entraîne son auditeur au cœur d’une nuit insolite à chaque épisode de son podcast L’insomniaque, disponible sur Arte Radio. Elle revient sur la conception des deux premiers épisodes.
Comment vous est venue la construction basée sur un parallélisme ?
L’idée est venue très tôt dans le processus de création du podcast. Parfois, la forme vient à la toute fin. Là, je suis partie dans mon histoire avec une idée de la forme qu’elle prendrait. Dans le premier épisode (dans lequel on suit la nuit d’un cambrioleur et de gendarmes, ndlr), j’avais peur d’héroïser le cambrioleur. Je tenais à avoir un individu en activité, pour créer une immersion dans son monde nocturne. Les gendarmes m’ont permis de contrebalancer la possible fascination pour quelqu’un qui fait des choses interdites. La construction qui en découle, en parallèle et au fil de la nuit, est un peu comme celle d’un film de fiction, en quelque sorte.
Dans Vodka et grenadine (épisode 2), le parallélisme sert les émotions, avec un aspect documentaire social…
Je suis rentrée dans cet épisode par le personnage d’Emily (maman célibataire qui travaille de nuit dans un club marseillais, ndlr). J’ai su qu’elle avait une petite fille, Eva, après avoir calé le tournage. Je pense qu’il faut partir avec une trame en tête pour construire son histoire, sinon le réel est trop vaste. Mais il faut aussi être capable d’en sortir pour capter un élément du réel hyper intéressant. J’ai été frappée par le parallèle entre les expériences nocturnes d’Eva et Emily. Au montage, je me suis dit que ce serait un super contrepoint d’avoir la narration d’Eva avec le fond sonore de la boîte de nuit, un endroit qui n’est pas destiné aux enfants. Le processus de création était différent du premier épisode.
Comment avez-vous écrit et monté vos interventions au micro ?
Je les écris à la toute fin du montage. Parfois, ça permet d’apporter ce qui est nécessaire à la compréhension du chemin de la nuit. C’est aussi une solution pour aller plus vite, un raccourci quand les actions ne sont pas intéressantes. Ça créé des séquences et une évolution dans le récit. Dans les introductions, je donne quelques éléments de description, ça plante le décor, l’histoire des personnages et les enjeux de l’épisode en deux mots.
Pourquoi entend-on à plusieurs reprises des tierces personnes, qui nous sortent du parallélisme ?
Pour le cambriolage, tout était très solitaire, très vide : il n’y avait personne d’autre. Il fallait faire passer l’atmosphère pesante par cette ultra-vigilance aux bruits, même les plus petits ou lointains. Dans la boîte, les voix des serveurs sont l’équivalent de ces bruits. La fête est un endroit extrêmement habité. Il y a de la musique, des discussions enflammées… Le contraste entre Eva, seule dans la chambre, et sa mère, saturée de musique, de cris et de rencontres, était encore plus parlant.
Pourquoi avez-vous choisi de garder au montage certaines des questions que vous leur posiez ?
Du point de vue du rythme, comme pour les interventions extérieures, ça permet d’introduire des ruptures. Dans mes précédents projets, il n’y avait pas de « je ». Je coupais toutes mes questions. Là, il fallait un peu d’incarnation, comme une petite lumière dans la nuit. Sans que ça prenne la place des personnages, jamais. Ça permet juste de recentrer le récit, et aussi de garder des moments d’oralité spontanés qui ancrent l’auditeur dans le réel. Par exemple le cambrioleur me dit à un moment « Là il y a une voiture qui passe, baisse-toi », même si on entend pas ma voix à ce moment, le fait de garder le tutoiement, pour l’auditeur, c’est presque comme s’il s’adressait à lui. Parfois, ce qu’on entend relève presque du conte.
Il s’agit plus d’un choix technique qu’éditorial, finalement ?
Pour le premier épisode, dans la maison, il n’y a aucune question pendant toute la première partie. À la fin, dans la grotte, j’ai mis des questions parce que le discours du cambrioleur peut être plus violent, on entend une certaine colère, donc ça permettait de garder une distance avec ses propos. Je continue de jouer avec ce quatrième mur, le rétablir de temps en temps après une séquence où l’auditeur aura été au coeur de l’action… mais je n’ai pas envie d’avoir d’automatismes sur ce projet. Il y a des choses qui bougent. Chaque épisode de L’insomniaque reste expérimental dans sa forme.
Qu’est-ce que la nuit apporte, ou contraint, dans votre narration ?
La nuit est très chronologique. Elle a un début, un milieu et une fin qui sont le crépuscule, le cœur de la nuit et l’aurore. Ça se prête bien à la narration. J’ai été surprise de voir à quel point la dimension sonore nocturne a une importance plus forte encore que ce que je pressentais en écrivant. Le cambrioleur est attentif au moindre bruit pour ne pas se faire choper. Emily, elle, raconte la cacophonie de la fête, puis ses pas qui résonnent dans les rues de Marseille quand elle en revient. Dans l’épisode trois, je suis des personnes qui observent les chouettes dans la forêt. L’atmosphère est encore différente, peuplée d’animaux. Finalement, la nuit apporte une matière sonore très vaste, elle n’est pas qu’un élément narratif.
Quelles ont été vos inspirations pour concevoir L’Insomniaque ?
Je pioche des éléments de construction narrative dans des films documentaires, des récits, des films fictions et des romans. Il y a des œuvres qui me nourrissent beaucoup, comme les documentaires de Raymond Depardon et de Werner Herzog ou les podcasts en immersion de Claire Hauteur.
Propos recueillis par Valentine Ulgu-Servant
Jean-Patrick
Assurément l’une des voix les plus emblématiques du Podcast francophone.