Jules Lavie : « En faisant Code source, j’ai appris à raconter des histoires »

Jules Lavie : « En faisant Code source, j’ai appris à raconter des histoires »

Depuis mai 2019, Jules Lavie est aux commandes de Code source, le podcast d’actualité du Parisien. Le journaliste revient pour Podmust sur cette année et demie d’effervescence.

Cette interview est disponible en version texte et en version audio.

Podmust : Pouvez-vous nous raconter le lancement de Code source ?

Jules Lavie : Au départ, le Parisien m’a appelé. Je venais de France Info et ils cherchaient quelqu’un avec une expérience radio. On a commencé à travailler sur Code source un mois avant le lancement officiel. On était une petite équipe resserrée. Ce n’était pas facile au départ, on essuyait les plâtres, on n’avait pas forcément de procédure établie. Mais c’était aussi une période d’excitation. Et le 6 mai 2019, on a publié notre premier podcast sur Jeanne Calmant.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans le projet ?

J.L. : Ce qui m’a séduit, c’était la volonté claire et avouée d’importer en France le modèle du Daily du New York Times, qui est la référence en matière de podcast d’actualité. Le fait d’avoir un modèle aide à comprendre de quoi on parle, ce qu’on veut faire. J’écoutais le Daily quand Pierre Chausse, le directeur du numérique du Parisien m’a parlé de ce projet donc j’ai vu ce qu’il voulait faire et ça m’a tout de suite plu.

Vous avez travaillé pendant 15 ans à France Info, quelle différence y a-t-il avec la présentation de podcasts ?

J.L. : En podcast, la grosse différence, c’est qu’on a vraiment le sentiment de parler à une seule personne. En radio, il y a souvent d’autres journalistes ou des chroniqueurs dans le studio, on parle à un technicien derrière une vitre. Lorsqu’on fait une matinale sur France Info, il y a entre 500 000 et un million de personnes qui écoutent. Et le bon vieux conseil d’école de journalisme de parler à une personne est très difficile à mettre en application. Sans compter qu’on est souvent en situation de stress avec des informations qui tombent en temps réel.

En radio, on a plus souvent tendance à parler plus fort, à déclamer un peu plus alors que lorsqu’on enregistre un podcast, soit on est seul pour faire ses génériques, soit on est avec son invité donc il y a forcément un côté plus intime. Au niveau de la forme, la grosse différence est qu’on va avoir tendance à parler plus près du micro, à parler plus doucement, à avoir un ton plus naturel qu’en radio.

Sur le fond, la grosse différence, c’est le fait de creuser un sujet sur vingt minutes. Quand je présentais à France Info, je parlais d’une dizaine de sujets par matinale avec souvent des interviews de cinq minutes. Là, on se concentre sur un sujet par jour et on s’appuie sur l’expertise des journalistes du Parisien qui souvent travaillent depuis des années sur ces sujet. En vingt minutes, on peut dire beaucoup de choses. C’est l’équivalent des très longs papiers de presse écrite, notamment de presse hebdomadaire qu’on peut lire le dimanche dans le Parisien.

Est-ce que votre relation avec les auditeurs est différente ?

J.L. : Oui, c’est une relation beaucoup plus proche avec les auditeurs de podcast. Chaque semaine, on a des mails d’auditeurs de Code source. On les sent très fidèles et à l’écoute. On a une relation beaucoup plus directe. On peut avoir travaillé des années à France Info sans avoir de retours des auditeurs.

Qu’est-ce qui fait un bon sujet selon vous ?

J.L. : Pour moi, ce qui fait un bon sujet, c’est une véritable histoire. Ce qui fait un bon sujet, c’est souvent un personnage principal avec qui on peut être en empathie. Ce personnage va avoir envie d’accomplir quelque chose, il va avoir des hauts et des bas. Ce qu’il faut, c’est avoir envie de savoir ce qui va arriver à cette personne pour rester jusqu’au bout. Ce qui compte surtout, c’est une forme de suspense, qu’on soit pris par un récit et qu’on ait envie d’aller jusqu’à la fin. Vingt minutes, c’est à la fois court mais ça peut aussi être long. Si on s’ennuie dans un sujet, on peut vraiment décrocher et aller écouter un autre podcast.

Pour moi, ce qui fait un bon sujet, c’est une véritable histoire.

Comment vous décidez de ces sujets ?

J.L. : Si on part avec l’idée qu’on fait du journalisme narratif, il nous faut une fin. Souvent, il y a des sujets qui m’intéresse mais qui ne sont pas encore assez murs. On attend d’autres développements, comme une interpellation, un jugement, pour avoir toute l’histoire. Donc, c’est en fonction de l’intérêt journalistique et de l’intérêt de l’histoire. Il faut qu’elle tienne sur quinze ou vingt minutes. Parfois, on a des histoires très intéressantes mais qui ne vont durer que sept minutes. Il y a aussi des sujets très importants mais qui ne se racontent pas bien en audio et donc on ne va pas les faire. Notre chance, c’est que Code source est un complément de ce qui se fait sur Leparisien.fr, on n’a pas d’obligation d’exhaustivité.

Y a-t-il des sujets que vous aimeriez traiter mais qui n’ont pas encore de fin ?

J.L. : On n’a pas encore traité le sujet des chevaux mutilés mais j’ai envie de le faire. C’est un sujet difficile à traiter pour plusieurs raisons. Il n’y a pas d’épilogue, c’est-à-dire qu’on n’a pas arrêté le ou les auteurs des faits et en plus c’est aux quatre coins de la France. Donc ce n’est pas facile à raconter.

Un autre exemple : le nouveau coronavirus. Dans les premières semaines, j’avoue que je ne pensais pas que ça allait prendre cette ampleur. Au tout début, je n’étais pas très preneur de ce sujet. Il se trouve qu’après je n’ai fait que ça pendant trois mois. On n’a toujours pas la fin de l’histoire du coronavirus mais on a fait en sorte de trouver des angles pour pouvoir couvrir ce sujet. Par exemple, comment l’Espagne, la Grande-Bretagne, l’Italie et la France ont réagi face à cette épidémie. Et on s’est rendu compte que c’était en ordre dispersé. Mais à chaque fois, on a choisi un début et une fin de manière presque arbitraire.

Par exemple, lorsqu’on raconte Trump et le covid, on va décider que la fin de l’histoire, c’est le moment où il rentre à la Maison blanche, son hélicoptère se pose dans le jardin sur fond de soleil couchant. Il fait le salut devant les caméras pendant trois minutes. On décrète que c’est la fin de l’histoire. A chaque fois, il faut qu’il y ait un début, un milieu et une fin.

A ce jour, Code source compte plus de 350 épisodes. Y a-t-il un sujet qui vous a marqué en particulier ?

J.L. : Oui, c’est celui sur Blanche Gardin. Un personnage très sympathique qui a eu des coups durs avant de percer au plus haut niveau. Pour moi, c’est vraiment un épisode très réussi au sens où l’histoire fonctionne bien et on apprend plein de choses sur l’humoriste.

Code Source

Dans les derniers sujets, il y a Damso, le rappeur belge, qui a présenté son dernier album à Kinshasa. Marie Poussel, la journaliste du Parisien était sur place avec lui. Franchement, je ne le connaissais pas, j’ai appris plein de choses. Il y a aussi le sujet sur le jour de la démission de Nicolas Hulot avec Marcelo Wesfreid du service politique. Ce qui est super, c’est qu’il était à France Inter le jour de la démission. Donc il y a suivi tout ça de très près avec des informations que vous n’avez jamais lu ailleurs.

En fait des sujets marquants il y en a très régulièrement. Par exemple, l’épisode sur le prétendu financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007 avec Thimothée Boutry du service police. On est vraiment dans le bureau où Nicolas Sarkozy est face aux juges.

Code source s’est lancé en même temps que La Story, le podcast d’actualité des Echos. Programme B, le podcast de Binge Audio était déjà présent dans le paysage médiatique. Le Monde a annoncé son propre podcast d’actualité pour début 2021. Est-ce que vous prêtez attention à la concurrence ?

J.L. : Oui, ça m’intéresse à titre personnel, en tant que journaliste. Après je ne me base pas là-dessus pour faire les épisodes de Code source au quotidien. On a une identité propre qui est en train de se créer, on a une façon de faire, des sujets qu’on aime suivre et couvrir régulièrement. Je suis ce qui se fait. Par exemple, j’étais très intéressé de suivre le lancement du Quart d’heure de Radio France. Mais au quotidien, on a très peu le temps d’écouter les autres podcasts et on se concentre sur ce qu’on veut faire.

Mi-octobre a eu lieu le Paris Podcast Festival où vous avez fait un épisode commun avec Twenty Twenty, le podcast de l’AFP dédié à l’élection américaine. Comment ça s’est fait ?

J.L. : J’ai été contacté par le Paris Podcast Festival pour cette idée d’épisode commun avec Antoine Boyer, qui présente Twenty Twenty. J’ai tout de suite dit oui. Antoine Boyer et moi, on a échangé pendant plusieurs mois sur quel sujet on allait faire, comment le raconter. On s’est aussi réparti les rôles, puisque on est chacun présentateur. Comme il est à Washington, il s’est naturellement transformé en reporter. Il a pu nous raconter ses reportages aux Etats-Unis. Puis on a fait un plan, on a écrit 25/30 questions à l’avance pour qu’il puisse se préparer. A charge pour lui d’improviser. C’est aussi ce que je demande aux journalistes du Parisien. On a fait l’enregistrement sur la grande scène de la Gaïté Lyrique à Paris. C’était un moment sympa, le public qui était présent a apprécié.

Code Source

Est-ce que la collaboration avec d’autres podcasts, c’est quelque chose que vous aimeriez refaire ?

J.L. : Oui, tout à fait. D’ailleurs, dans le même genre, on a fait un podcast avec Grégory Philipps, le correspondant de France Inter et France Info à Washington. Il participe aussi au podcast Washington d’ici, le podcast commun des radios publiques francophones. Grégory était l’invité de Code source. C’est quelque chose de plaisant.

Y a-t-il d’autres projets de podcasts à venir au Parisien ?

J.L. : Pour l’instant, à cause de la crise du coronavirus, on est plutôt sur une phase de consolidation de Code source. Mais clairement, l’idée à terme, est de créer d’autres podcasts. C’est quelque chose qu’on a dans un coin de notre tête.

Quel est votre bilan de cette année et demie à la présentation de Code source ?

J.L. : Ce qui m’a le plus frappé, c’est qu’en faisant Code source, j’ai appris à raconter des histoires. Je n’avais aucune notion de storytelling avant ce podcast. Au départ, je me suis demandé pourquoi les gens resterait vingt minutes avec nous. Ma réponse a été : « parce qu’il faut qu’il y ait du suspense, que les gens soient pris dans le récit ». Je ne savais absolument pas faire ça. D’ailleurs, je me suis toujours considéré comme une personne qui ne savait pas raconter les histoires dans ma vie personnelle. J’ai donc demandé à suivre une formation de storytelling que je n’ai pas eu. Mais sur internet, il y a beaucoup de ressources, ne serait-ce que des vidéos Youtube.

Puis j’ai découvert l’existence de livres sur le storytelling, notamment Story de Robert McKee, que je recommande à tous les journalistes. C’est un livre d’écriture de scénario qui est devenu ma bible.

Quand on commence à rentrer là-dedans, on ne lit plus les livres de la même façon, on ne regarde plus les films de la même façon. C’est vraiment passionnant. Ce que j’adore aussi dans Code source, c’est le contact avec la rédaction et les éditions du Parisien. Ce sont des hommes et des femmes en or qui racontent très bien les histoires et c’est un plaisir au quotidien de les mettre en avant pendant vingt minutes.

Amandine Sanchez
par Amandine Sanchez
02.12.2020
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