Soudain la question tomba. Sans prévenir. Nous étions au premier jour du Paris Podcast Festival, à la première table ronde sur la présentation des nouveaux chiffres du Podcast. On venait d’aborder l’évolution de l’audience, la publicité, les marques, les auditeurs qui semblent prêts à tout cela… Et puis d’un coup, après 55 minutes et 30 secondes, cette question :
« Comment on fait pour grandir sans perdre son âme ? »
Elle était adressée au cofondateur du Paris Podcast Festival. Sa réponse (« en gardant les oreilles ouvertes sur les nouveautés ») m’a semblé beaucoup moins importante que la question. Sans doute parce qu’il n’y a pas qu’une seule réponse, il y en a autant que de répondants. J’ai repensé au parcours de certains podcasts qui avaient « grandi ». Ils avaient démarré avec leur téléphone, puis décidé de s’acheter un micro, peut-être un enregistreur aussi. Puis ils étaient passés à un hébergement professionnel. Et puis pourquoi pas monétiser le podcast après tout ? C’est proposé par l’hébergeur. On peut indiquer une plateforme de don, chercher un sponsor ou rejoindre une régie publicitaire. Pourquoi pas.
J’ai partagé ma réflexion à Gabriel, créateur de podcast, qui m’a répondu que je venais de retracer exactement son cheminement. Il comptabilise désormais des millions d’écoutes et continuera de grandir, non sans embûches.
Mais justement, dans ce parcours presque tout tracé qu’empruntent beaucoup de podcasteurs, à quel moment perd-on son âme en chemin ? Est-ce quand on commence à regarder un peu trop les audiences ? Est-ce quand on décide qu’il est temps que l’argent vienne au podcast, ne serait-ce que pour amortir les frais déjà engagés ? Est-ce au tout début si l’intention dépasse la passion ? Gabriel a apporté son point de vue : pour lui, quelque chose avait changé quand il avait commencé à devoir produire des podcasts pour en dégager un revenu.
Il serait facile de faire une distinction entre d’un côté les personnes qui font du Podcast depuis 10 ans par exemple, et celles qui sont entrées dans le « jeu » depuis peu. Pas seulement des podcasts, mais aussi des services, des startups qui ont poussé comme des champignons dès que le voyant « alerte tendance » s’est allumé. Des opportunistes dans l’âme ? Ce n’est pas aussi simple. Car dans ces nouvelles structures qui peuvent légitimement déclencher la méfiance chez les « anciens », se trouvent aussi des personnes formidables, passionnées, que l’on regretterait de ne pas avoir croisées. C’est la leçon que beaucoup d’événements nous apprennent, quand on dépasse l’impression faussée (souvent) qui se créé à distance avant de se rencontrer. Tout le monde a une âme après tout.
D’ailleurs, au fil des déambulations entre les masterclasses, les tables rondes, les ateliers, les stands, à force de chercher une âme chez des podcasteurs, des studios, des hébergeurs, des régies, des médias… la question s’est logiquement retournée contre moi : « dis donc, en grandissant, Podmust n’aurait-il pas perdu son âme ? »
J’ai tenté de me remémorer les critiques reçues depuis 2018, les questions sur l’argent. Il y a eu les podcasteurs indépendants qui reprochaient de référencer des replays radio sur Podmust. La suppression des podcasts inactifs après 6 mois. La suppression du formulaire de soumission. Les premiers messages « c’est combien pour être mis en avant sur le site ? ». La recherche d’un modèle économique. Les premiers messages « c’est combien pour figurer dans la newsletter ? ». Les premiers refus de podcasts… La conclusion, c’est qu’il ne suffit pas d’être sur le bon sujet au bon moment : il faut évoluer avec ce sujet, prendre la vague sous peine de rester sur le rivage. La vague à l’âme. Après tout, si un projet s’éteint, son âme est emportée aussi. On ne peut pas souhaiter cela.
Et c’est la même chose pour le Paris Podcast Festival : il grandit. Il n’échappe donc pas à la question de son âme. Alors non, celle-ci ne se trouve pas dans la programmation, la compétition, les flyers, les goodies et les coupe-files. Son âme se trouve dans la multitude des personnes qui, le temps de quelques jours, se réunissent au même endroit pour y additionner leurs points communs et leurs différences, pour y voir l’humain derrière parfois la concurrence. Le Paris Podcast Festival, on ne s’y retrouve pas, mais on s’y rejoint.
J’y ai par exemple rencontré Sarah, qui m’a dit la violence du refus qu’elle avait reçu de la part d’une journaliste de Télérama quand celle-ci lui avait listé tout ce qui n’allait pas dans son podcast (selon elle). Ce même podcast s’est retrouvé ensuite nommé en compétition officielle au festival cette année. Télékarma. Est-ce que ces deux personnes se sont croisées sans le savoir durant le festival ? Dix minutes plus tard j’entendais Louie Media se plaindre qu’aucun de leurs podcasts n’avait été retenu pour la compétition. Je me suis dit « Tiens c’est vrai ça », puis je me suis dit aussi que c’était quand même devenu complètement mainstream de se plaindre du festival ; et c’est à ce moment-là que j’ai décidé d’arrêter.
Alors sans doute, le Paris Podcast Festival est lui aussi condamné à grandir (il y a pire comme condamnation). Et il devra ainsi chaque année continuer à courir après son âme. Mais une chose est certaine, c’est qu’il en a une, indéniablement.
Jean-Patrick
Pour (ré)écouter la question de l’âme et la réponse du cofondateur du festival : https://podcast.ausha.co/paris-podcast-festival/ppf21-2021-etude-les-francais-e-s-et-le-podcast-natif