« C’est l’histoire d’un like sur Instagram. D’un like et de tout ce que ça peut vouloir dire. D’un like et de la brèche qu’il a ouverte et dans laquelle je me suis engouffrée ». C’est par ces mots que Judith Duportail, journaliste, débute son podcast « Qui est Miss Paddle ? », produit par Pavillon Sonore. Non, « Miss Paddle » n’a rien à voir avec un nouveau prix décerné aux femmes : il s’agit du surnom donné par la trentenaire à une « fille d’Instagram » qui a un jour posté une photo d’elle posant sur un paddle. Pour la journaliste, cette première photo et la découverte via les réseaux sociaux de l’Instagrameuse marquent à la fois le début d’une obsession et d’une lente désillusion au sein de son couple.
Dans ce podcast à mi-chemin entre l’enquête et la quête personnelle, elle interroge la manière dont les réseaux sociaux s’immiscent dans nos relations amoureuses comme dans un mariage forcé : pour le meilleur, et pour le pire. On poste, on like, on commente. Et des émotions contradictoires en ressortent. Pour la journaliste, touchée de « comparaisonite », c’est la jalousie qui a surtout pointé le bout de son nez à la vue de « Miss Paddle » et de son corps qui répond à tous les critères de beauté actuels.
Outre l’introspection née de cette expérience personnelle, une réflexion autour d’interviews sur la représentation des corps féminins et sur le « male gaze » a aussi été menée. Car dans les six épisodes du podcast, le fil d’actualité d’Instagram s’érige en fil conducteur des pensées et émotions qu’il provoque chez Judith, qu’elle met ensuite en perspective à travers des réflexions et analyses sur des sujets variés : la différence entre tomber amoureux et aimer, le phénomène du stalking, la communauté des « nice guy » ou « alpha mâle », la photographie, les injonctions faites aux femmes…
Mais si la trentenaire étoffe ce qu’elle voit, fait et remarque sur le réseau social pour penser la société, c’est avant tout le moyen d’aborder avec nous, auditeurs, le récit intime et douloureux de sa vie amoureuse. Alors, subtilement, nous sommes embarqués et immergés dans une histoire dont la légèreté du titre ne laissait rien présager. Tout comme il était impossible pour Judith Duportail de prévoir que son couple, qui avait tout de la « pub pour le grand amour », finirait presque par se rapprocher de celle du 3919, le numéro d’aide en cas de violence.
« Vous pensiez écouter un podcast qui raconte l’histoire d’une bombasse sur son paddle. Et puis vous voilà au coeur d’un récit bien plus sombre. Je sais, j’ai fait exprès. Parce que c’est comme ça que ça se passe dans la vie une relation abusive. »
Judith Duportail
Tandis qu’elle livre ses pensées les plus immorales, parfois accentuées par un effet sonore qui nous donne l’impression d’entendre la petite voix dans sa tête, nous prenons connaissance de ce qu’implique une relation toxique. Au détour de souvenirs égrenés et de descriptions précises, nous assistons à cette descente aux enfers en découvrant les mécanismes qui forment la spirale de l’emprise. À la manière de ce podcast né d’une photo, tout commence dans la banalité, puis, petit à petit, des émotions et des actes aussi contradictoires que violents s’accumulent. On comprend alors le courage nécessaire pour s’échapper d’une telle relation.
La sincérité de ce récit, la subtilité des réflexions et l’aspect pédagogique de « Qui est Miss Paddle ? » en font un podcast lourd de sens. Les mots emplis de colère, de tristesse et de nostalgie s’entrechoquent, se mêlant parfois à l’humour grivois et pinçant de réalité, et aux métaphores parlantes de la journaliste. Tout contribue à nous tenir en haleine. Dans l’épisode 5, en décrivant ce qui marque un tournant dans son couple, Judith Duportail utilise une de ces métaphores : « Les archers, ceux qui pratiquent le tir à l’arc, expliquent qu’il faut trois tirs pour parvenir à atteindre une cible ». Pour ma part, en tant qu’auditrice, il a suffit d’un seul tir pour que ce podcast devienne un coup de coeur.